de la place de la République, si brillante, minérale au moment de la pluie je me laisse descendre lentement vers la Seine, les rues sont pleines de vent, de tristesse engrangée dans les terrasses désertes, je ferais bien plusieurs fois le tour du génie de la Bastille jusqu’à ce que comme une toupie la place m’élance, m’enivre, m’emmène, mais devant le café Français me voilà soudainement prise par les parfums des touristes américaines, le panneau zone touristique qui oscille dans l’air gris m’en dit bien moins que ces notes trop fleuries – rose de Damas, pivoine, Dior’s blooming bouquet – je continue sur le boulevard Henri IV, et là encore, rien ne révèle la présence de la Garde Républicaine comme l’odeur des chevaux derrière les palissades, légèrement acide, tenace, en dépit de la pluie qui s’approche et des limons soulevés par le ventre des bateaux. sur le pont une jeune femme russe m’arrête, elle est très belle, trop maquillée, perdue, et ses yeux dévorent à demi son visage éploré. lorsque je serai de l’autre côté, me dis-je, toute tristesse se sera envolée — mais de l’autre côté je trouve les souvenirs de l’année passée, le ravage des branches cassées sur les trottoirs, un wagon-restaurant de l’Orient Express figé sur le haut d’une estrade comme un jouet délaissé.
plus tard le soir la lumière projetée des bateaux dans les feuillages fait trembler les façades du quai de la Tournelle; j’y vois des poissons merveilleux, des oiseaux, des algues longues aux mains dansantes, des chevaux qui s’ébrouent dans la nuit constellée. je traverse au plus vite les rues de carton-pâte de l’île de la Cité; il fait très froid, deux garçons dansent sur la place de l’Hôtel de Ville, en se tenant les mains, et seuls peut être ce soir parmi les ombres immobiles ils se regardent et semblent heureux.