légère obsession pour Le Hussard sur le toit que je relis, par grandes lampées : chez Jennie, les chips de vitelotte sont violettes comme des joues cyanosées, j’imagine un « menu spécial choléra » où elles accompagneraient les melons dégouttants de jus, les tomates trop mûres sur lesquels se jette la Provence entière dans sa soif inextinguible, l’encre de seiche pour les visages noirs des malades, le riz au lait pour les déjections des dysentériques. j’explique à Jennie, horrifiée, qu’il ne s’agit là que d’une petite variation sur les « menus funèbres » de Des Esseintes. et puis elle me fait goûter son tiramisu au citron et quand bien même je serais tentée de lui raconter les rêves déliquescents des marins malades du scorbut, je me tais au bonheur de la première bouchée.
c’est tout de même une chose intéressante de relire Le Hussard au moment où les journaux s’essoufflent sur la pandémie de grippe A. aux tout premiers malades de la grippe, le mot quarantaine a été prononcé à plusieurs reprises : il est désormais occulté (les enfants malades de la colonie de vacances de Megève s’amusent autour « d’autres activités » que les autres) comme l’est la maladie elle-même. dans Le Hussard, comme dans La Peste d’ailleurs, on ne peut qu’être frappé de l’organisation qui est faite des populations saines et malades – ou, pour le dire avec Foucault, de la rigueur des dispositifs disciplinaires et biopolitiques qui leur sont imposés. on a du mal à imaginer aujourd’hui des patrouilleurs de quartier aux masques aux grands nez emplis d’épices ésotériques – ou peut être sont-ils déjà là, n’ont jamais cessé de l’être. quoi qu’il en soit, ne pas oublier la conviction d’Angelo : c’est la peur qui rend malade.