un moment en suspens la pluie s’est mise à tomber, à grosses gouttes tièdes, et je suis restée debout, les épaules nues, sur le retrait du jardin, pour les aimer de loin.
c’était une nuit noire, profonde comme les forêts. dans le carré lumineux de la piscine Millie nageait, les cheveux remontés en chignon, au milieu des bouées à tête d’animaux ridicules et terribles comme des cauchemars d’enfant. un petit groupe tapageur et heureux s’agitait au balcon, fumant comme au spectacle. ils étaient trois ou quatre à avoir vécu au Japon : nous nous étions trouvés très vite, avec ce voile dans la gorge qu’on laisse prêter au froid. à l’abri d’un parasol B me préparait un gin-tonic en me causant de Dylan. j’avais décidé de les coucher sous la table, lui et quelques autres aux yeux rieurs ; nous en étions à la mi-temps.
je pensais avoir toute ma vie dix-sept ans : les jardins, les guitares, les étreintes tequila avec du sel et du citron. de tous les amis de Cecilia je ne connaissais que W, depuis quelques mois à peine et le sentiment d’avoir été amoureuse de lui en cachette au lycée. il était ce soir terriblement triste – un garçon aux beaux yeux verts qui au coeur de la fête pressent déjà la petite aube plâtreuse, les corps déteints d’alcool sur les carrelages salis. Alex riait de tout cela : blonde dangereuse et entière – autre chose que les baisers expérimentaux de Katy Perry sur MTV. j’avais les mains dans la lavande – je frottais les épaules de Millie devenues bleues comme ses yeux. j’étais pleine d’une douceur sans fin, le sentiment d’avoir gagné une bataille sur moi-même, d’avoir vécu la nuit comme telle, authentique sous une lune de papier.
soudain le jour se levait : je marchais dans les herbes hautes en écoutant Morcheeba : it ain’t gonna hurt now / if you open up your eyes…