(Bucarest) l’errance est sans repos

j’arrive à Bucarest avec plus de fatigue que je n’en peux supporter : inquiète par avance de mon séjour, des moindres détails de la vie, fragile comme au bord de moi-même et prête à m’effondrer. la ville passe dans mes yeux sans que je la reçoive : la chaleur, la poussière, le cahot des embouteillages prennent toute la place.

à midi je m’endors dans le cliquètement de l’air conditionné. la chambre est plus luxueuse que ce à quoi je m’attendais ; c’est un îlot au milieu des friches, des parkings et des échafaudages qui encombrent les boulevards. d’une certaine façon, cela me rassure et m’agace à la fois : je suis en tous points détachée. en d’autres temps, d’autres courages, je me laisserais tomber librement dans la fascination de ces quartiers défigurés : mais ma peau brûle, et je voudrais pleurer.

sans doute, tout va trop vite. j’appelle et désire des départs qui me découpent le coeur – d’une ville à l’autre je m’entrechoque à moi-même et reviens me heurter à cela seul qui reste : ma folle solitude.

qu’est-ce qui veut en moi, qu’est-ce qui fait le choix de faire ou pas ? toute ma vie j’ai cédé à la peur – la peur d’aimer, d’être aimée, la peur de me tenir droite dans ma peau et ne pas la connaître. quand bien même je m’imagine parfois me jeter dans la vie c’est avant tout dans la fuite que je m’en vais – la fuite qui, sous le charme de l’écart, la dorure du souvenir, n’en reste jamais qu’une peur indélébile de ne pas savoir vivre.

dans la rue les chiens veillent aux yeux jaunes, roulés en boule sur l’herbe clairsemée des talus. l’errance est sans repos.

et brusquement : la simplicité des retrouvailles, la beauté des découvertes. N est là comme si sa présence était la seule chose que j’ai jamais connue, la seule sur laquelle je puisse compter. on marche d’Aviatorilor à Victoriei, la ville prend forme, vin blanc et foule heureuse, les gens mangent à des tables de bois dans la chaleur étouffante et nous parlons, lentement, longuement, du Japon et de la Russie, des chats et des enfants, des choses qui font la vie. à minuit le long des allées désertes qui remontent vers l’Arc de Triomphe – folle de joie, de beauté, d’être à tes côtés dans la nuit magnifique et s’en aller ensemble si sereinement.

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