(Annecy) solidité des rochers

Gare de Lyon au petit matin – La liberté ou l’amour sur un banc vide, l’odeur du café et du caoutchouc brûlé, le rideau de pluie tiède de l’orage, en moi toute la fatigue, toute la solitude, et pourtant peut être ce moment de départ je touche à la grande joie. c’est une longue descente dans les plaines – le ciel lentement s’éclaircit – gorges et tunnels, j’arrive sous les montagnes et un air différent, plus dense, plus vrai, chaque geste le tout premier dans la touffeur heureuse.

Annecy – à seize ans j’étais dans cette ville et la pluie tiède de juin – j’errais dans des parcs, des disques, les rues qui toutes me parlaient d’un garçon au parfum entêtant. je l’aimais comme on aime une image : quand bien même il ne serait jamais à moi, tout ce que j’en aurais inventé le resterait, et cet après-midi encore, le long des canaux, je marche au bras d’un merveilleux fantôme.

je dis à J : c’est peut être tout ce que je sais faire : aimer des fantômes ! elle hausse les épaules : ça vaut toujours mieux qu’un sale type, non ?

J ne le sait sans doute pas mais elle est une passeuse : elle tient la corde d’un bord à l’autre de la crevasse, de la douleur, des décisions. alors :

Annecy – la promenade au bord du lac avant les grands départs. à seize ans sur l’étendue magnifique du Pâquier, et plus de dix ans plus tard, quand je me laisse entraîner dans la forêt gonflée d’humidité par deux Canadiens aux yeux gris qui sautent du Roc de Chère en riant. ils sont pleins d’anecdotes et de jeunesse tranquille, ils me tendent leurs mains du haut des chemins escarpés, les larmes aux yeux presque devant la beauté des massifs, la lumière en ondées, tout les prend dans l’immédiateté de leurs corps – c’est aussi pour moi un certain spectacle.

nous montons en voiture dans la montagne et l’orage qui s’approche. les parents de J me font de doux reproches : toujours tu viens et tu t’en vas ! mais comment leur dire que peut-être, ce morceau de lac et de rocher est très exactement, dans sa solidité, comme l’amitié d’enfance de J, cela même donc j’ai besoin pour pouvoir m’en aller ?

dans le carré de la fenêtre le plateau des Glières est comme un animal aux aguets : présence physique et implacable qui veille sur mes rêves dans la nuit.

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