(Lisbonne) le garçon Sud

il faudra que je dise un jour ma difficulté de vivre avec les clés, les portes, et autres seuils symboliques.

un été il y a longtemps je m’en souviens par coeur, idiote devant ma porte sans arriver à tourner la clé dans la serrure, un type qui passait par là a résolu l’énigme des verrous pour moi – c’était M. une autre fois, enfermée à l’intérieur par erreur chez H, j’ai raté un rendez-vous primordial et tant mieux. je ne compte pas les clés perdues, fenêtres brisées, promenades sur les toits ou les flics surgissant, toutes sirènes hurlantes, parce que j’avais la lubie d’entrer par la backdoor de la maison de Walmer Street. dans l’adolescence j’étais dotée d’un sens très romantique des fenêtres, des arbres ou des balcons. j’aimais les maisons vides des autres ou accueillir chez moi les amis, les filles tristes, les garçons yeux couteaux dans l’encolure des rosiers. je rêvais à la folie du fantasme d’André Breton : « Chaque nuit, je laissais grand ouverte la porte de la chambre que j’occupais à l’hôtel dans l’espoir de m’éveiller enfin du côté d’une compagne que je n’eusse pas choisie. »

et puis il y a eu le corollaire : l’angoisse rampante de sortir d’une chambre, l’hostilité de l’extérieur, le piège du territoire, refuge et prison à la fois. je parlais hier avec P de l’impossibilité pour Alejandra Pizarnik de vivre en dehors de sa chambre quand bien même celle-ci apparaît dans ses poèmes pourvue d’yeux, de bouches, de portes que l’on ne brise pas :  « Alguien quiso abrir alguna puerta. Duelen sus manos aferradas a su prisión de huesos de mal aguero. » P m’a demandé comment allait ma propre angoisse ; je crois que j’ai dit « mieux« .

j’étais en train de faire ma valise quand la porte de la chambre, à cause d’un courant d’air, a claqué violemment. pourquoi faut-il que ma porte se bloque, vingt minutes avant de partir pour l’aéroport, un dimanche midi dans une ville étrangère ?

réponse 1 : parce que c’est inscrit dans mes angoisses
réponse 2 : parce que c’est ma thématique préférée (l’hostipitalité, comme dirait Derrida)
réponse 3 : parce que c’est mon modus operandi classique pour l’amour fou

au moment de quitter Lisbonne je rencontre le garçon nommé Sud. c’est à dire qu’il a des yeux très noirs, la peau mate, sait utiliser un tournevis et que son prénom, comme un point cardinal, donne l’appel vers l’ailleurs.

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