Y sonne chez moi en pleine nuit : problème de serrure, elle est enfermée dehors, c’est une bonne métaphore de l’état dans lequel nous sommes l’une et l’autre en ce moment, sans prise et sans repos ; une bonne expression de la douleur aussi : quand tout lieu est hostile.
toute la journée je m’étais traînée dans la vie à contre-courant : la rue et la chaleur collante, les gamins violents, aux couloirs les murmures, coups de fil intempestifs, ma peau qui fait mal, petites blessures narcissiques et colères de la taille du Kilimandjaro. Laurent se croyait dans l’obligation de faire le mâle agressif ; j’ai dit très calmement : reconnaître ma force ne veut pas dire que tu es privé de la tienne (ce qui n’a sans doute soulagé que moi). j’ai marché jusqu’au pont de la gare, la petite beauté inaltérable des rails, des cabanes, les aiguillages silencieux des trains qui s’élancent sans fatigue.
je pensais à rien et tout à la fois ; l’envie de pleurer, la fatigue. j’ai regardé Trois couleurs : Bleu – et puis peut être j’ai compris : la femme à qui l’accident arrache son homme et son enfant, elle laisse le matériel, abandonne son désir, elle se tient en retrait de la vie – elle dit « je ne fais rien » – mais rien c’est déjà ça, un décalage, une attention, une présence.
dans la trilogie de Kieslowski, c’est Rouge que je préfère – aussi pour la silhouette d’oiseau gracile d’Irène Jacob qui toujours me rappelle l’épiphanie de Stephen Dedalus : « A girl stood before him in midstream : alone and still, gazing out to sea. She seemed like one whom magic had changed into the likeness of a strange and beautiful seabird« …
dans Rouge : mille choses que j’aime (la finesse du grain, les voix, les ombres, la pluie, le ballet de la couleur, cette image de rêve telle que l’on voudrait toujours la vivre) mais plus que tout peut être la fin, qui épèle la beauté, la résolution, le moment de la confiance.
toujours je m’épuise au monde et soudain, quelques traits esquissés d’un film il me semble que je suis surprise de savoir ce que je sens – on peut ne pas vouloir être là ; on ne peut pas refuser la vie.