et M paraît. peut être il n’y a pas il ne faut pas d’explications à cette alchimie des matières : la forme de ses épaules, la fente de ses yeux, le sursaut toujours quand il s’avance vers moi – le sursaut qu’il existe. cette nuit détruite de tristesse j’ai rêvé de lui : au réveil la main invisible qui me tient ; à midi il téléphone comme de rien, il est revenu à Paris, il m’attend sur le canal. il me parle de Berlin, des films de Kieslowski, et quand toujours je m’effondre infiniment il entreprend de me raconter, point par point, toute l’histoire de la guerre du Péloponnèse. c’est, pour ainsi dire, me prendre par les sentiments : dans mon imaginaire historique lorsque je remonte un peu je saute directement du XIXème à l’Antiquité grecque. cher M, abîmé et secret, qui abrite en lui toute la flotte athénienne et le lion Alcibiade : ça gronde et ça déchire, ça n’en finit pas de se battre dans la nuit en suspends. je pense à Derrida : le problema grec qui est une projection ou protection, mais aussi un bouclier. je lui raconte que la semaine dernière, terrassée par une crise d’angoisse, je suis parvenue à sortir de chez moi parce que je tenais les Apories de Derrida dans mon sac, parce que je lisais les Apories dans le métro, et c’était l’unique façon d’avancer, seule et parée de mon fantôme familier, parée de mon bouclier, mon signe atropopaïque taillé sur mesure : il ne se moque pas. nous marchons dans la nuit : une heure pour traverser une rue, pour se dire au revoir, finalement à demain, tout à l’heure, car trop de choses circulent -
j’aime retrouver en lui ce que j’ignore chez moi : une déchirure qui garde confiance.