correspondances

j’aime infiniment cette chanson de Sufjan Stevens qui s’appelle « To Be Alone With You » (cliquer pour écouter dans une autre fenêtre) : elle me rappelle La légende de Saint Julien l’Hospitalier de Flaubert.

I’d swim across Lake Michigan / « Julien dénoua l’amarre. L’eau, tout de suite, devint tranquille, la barque glissa dessus et toucha l’autre berge, où un homme attendait. »

You gave up a wife and a family / « Des mois s’écoulaient sans que Julien vît personne. Souvent, il fermait les yeux, tâchant, par la mémoire, de revenir dans sa jeunesse; – et la cour d’un château apparaissait, avec des lévriers sur un perron, des valets dans la salle d’armes, et, sous un berceau de pampres, un adolescent à cheveux blonds entre un vieillard couvert de fourrures et une dame à grand hennin; tout à coup, les deux cadavres étaient là. Il se jetait à plat ventre sur son lit, et répétait en pleurant : - Ah ! pauvre père ! pauvre mère ! pauvre mère  ! »

You gave your body to the lonely / « Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte. Le Lépreux tourna la tête. - Déshabille-toi, pour que j’aie la chaleur de ton corps ! Julien ôta ses vêtements; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu’un serpent et rude comme une lime. »

et même : You went up on a tree / « Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l’âme de Julien pâmé; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s’envola, le firmament se déployait; – et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l’emportait dans le ciel. »

ce sont des images de livre de prières ou de conte, l’archétype du passeur des deux mondes sur son fleuve, le motif du risque de l’autre : on accueille l’inconnu, et l’inconnu se révèle être divin, à l’instar de Zeus Xenios, le protecteur des hôtes et garant des règles de l’hospitalité. « Et voilà l’histoire de saint Julien l’Hospitalier, telle à peu près qu’on la trouve, sur un vitrail d’église, dans mon pays. »

I’d swim across Lake Michigan
I’d sell my shoes.
I’d give my body to be back again
in the rest of the room.
To be alone with you.

You gave your body to the lonely.
They took your clothes.
You gave up a wife and a family.
You gave your ghost.
To be alone with me.
To be alone with me.
You went up on a tree.

I’ve never known a man who loved me.

- extrait de l’album Seven Swans

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