les filles, magnifiques

je remonte la rue Levert comme dans un film : les pans de murs, très noirs, en rails lancés vers la nuit étoilée, c’est l’envie de courir qui me prend, courir à l’encontre physique de la côte, connaître la tension soudaine dans les jambes – la main de S m’arrête dans mon traveling, elle sourit, derrière elle Ale et Anya poussent la porte cochère de leur dos, nous entrons chez Laura sur un air de Coltrane. Olé. bientôt F arrive : poudreuse, très douce, dans un pantalon cintré qui marque la finesse infinie de sa taille. Laura a fait des crêpes : la Cixous est chèvre mielleuse ; la Foucault pleine de choses que l’on retrouve dans la Butler, avec une pointe de piment en supplément. la Iragaray est une galette qui n’en est pas une. la Lacan, quant à elle, arbore une énorme banane flanquée de boules de glace et flambée. les filles, magnifiques, mangent avec leurs doigts sur des petits tabourets. rires qui s’entrechoquent, éclats de verres, douceur de la nuit dans un jazz endiablé. de l’autre côté du couloir Laura me raconte son rêve, qui inclut une étrange statue démembrée, beaucoup d’avions, et Geoffrey Bennington en peignoir. je regarde F aller et venir dans la chaleur de la pièce : sa façon de pencher sa tête, d’arquer son dos, lentement et sûrement, en danseuse. lorsque F est là je suis plus douce, plus tendre, ma tête est un lac d’eau calme planté de fleurs étranges. la nuit file. Alejandra ferme ses yeux sur l’épaule d’Anya, elles racontent leur rencontre, dans la pluie folle de l’hiver, leurs errances dans la nuit et les filles qui les ont poursuivies et battues, place du Châtelet, parce qu’elles se tenaient la main dans la rue. je connais cette histoire, et tant d’autres, c’est la grande colère que les filles écartent un moment de la main : nous tenons bon, et belles, et follement amoureuses. je sors sur le balcon, je me rappelle Paris, derrière des auvents de bambou qui résonnent comme des carillons. la rue Levert descend vertigineuse dans le ciel mordoré. les filles s’étirent, elles étendent le monde entier avec elles, je les regarde rire et se jouer de toute bêtise : si immédiates il y a ce sont elles, qui toujours tiennent la vie à bout de souffle.

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