je devrais me réjouir d’aller faire la queue à La Poste : les écrans de télé qui ont envahi les bureaux font de moi une personne mieux éduquée (petits reportages insipides sur « les beautés du terroir »), mieux organisée (« comment bien préparer un colis, c’est à dire en collant l’étiquette droite ») et plus que tout, veillent à mon éducation citoyenne : « il faut respecter la règle des 3 R » m’annonce doctement une jeune femme sur l’écran – 3 R que j’ai déjà oubliés au profit de cette idiotie remarquable : « la planète vous en sera éternellement reconnaissante ». je veux bien qu’on m’explique : en quoi la planète est-elle un organisme doué de conscience (on n’est pas sur Solaris, hein) et surtout, en quoi la planète, que l’on détruit à vitesse grand V et qui, indépendamment de nos erreurs, verra sa fin naturelle dans la disparition du Soleil, peut être m’être éternellement reconnaissante ?
le démantèlement de toute chose par la déformation du langage : je n’ai pas envie d’un « point repos » ou d’un « en-cas saveur », mon mascara n’est pas une « touche glamour », je suis horripilée par le mot « pièce » dans les magazines féminins (la petite « pièce » qui va avec tout !), j’en ai par-dessus la tête des plans d’épargnes en -is, des trucs de jeunes en -oo ou du critère « bio » qui se voudrait synonyme de vie pure et éternelle, je trouve les noms de voiture intensément ridicules, il y a de la bébé-ification dans tout cela, de la lallation pour adultes retardés, on machônne des mots dans la bouche, on tête, c’est le règne de la « culture plaisir », stade oral non dépassé : mais comment devenir adulte ?