la vie comme elle arrive

au moment où je me sens cause perdue au grand désir physique d’autrefois –

ses yeux, sa voix, son accent du Midwest qui toujours me parlera la langue de mon adolescence, il était pourtant assis bien droit et cravaté comme un avocat new-yorkais, je titubais de fatigue et de foule mélangée, exercice nécessaire des entretiens de visa à l’ambassade des Etats-Unis j’ai déjà fait cela, je sais dérouler ce qu’il faut comme il faut mais pas dans ces yeux là –

lui, souriant, tranquille, et qui posait bien plus de questions que de raison, je le savais et j’en étais terriblement troublée, songeant en moi-même: ok ma fille ça n’est vraiment pas le moment de faire la maligne, songeant encore: contiens ton visage, contiens ton souffle, ta peau qui lentement s’étale dans une robe soudain trop serrée, toute la musique qui surgit dans ta tête et t’emporte

qui a imaginé ce scénario improbable où je raconte ma vie à un beau gosse du State Department et il me répond très sérieusement: « yes I believe in feminism too » ?

je pensais: tu rêves debout, tu vibres d’un rien, retire-toi avec grâce, retire-toi en tout bien tout honneur personne ne saura que ton coeur est en train de s’effondrer dans ta poitrine

il souriait toujours, adorable et puissant, sans se décider à me laisser partir, longues minutes de joie violente, incompréhensible, tout entière absorbée par sa façon merveilleuse de parler, incisive, impeccable, je savais déjà que j’en rêverais longtemps

dans les jardins qui encerclent l’ambassade enfin, la chaleur écrasante, riant toute seule devant les cordons de police et la grande Concorde débile –

(lorsque mon passeport me parvient quelques heures plus tard, je trouve sa carte de visite à l’intérieur)

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