d’où vient…

quelque chose change en moi, comme une ombre ou un filet de vent. je ne peux pas le saisir, je pressens dans la nuit des formes qui s’allongent, je trouve dans mes mots des sons inattendus, et je m’étonne soudain: tout cela est à moi, mais qui l’y a mis, et quand, et pourquoi?

parfois, à contrario, des pans entiers de ma mémoire s’effondrent. ces pages que j’ai lues, ces joies que j’ai connues, elles ne sont plus à moi. je pense au Brésil que j’aimais dans la peau cet été encore, je ne le trouve plus, bientôt peut être je ne songerai même plus à le chercher ou en sentir le manque.

sans doute ces vagues intérieures ne cessent d’aller, venir, et nous vivons aussi grâce à l’oubli de leurs mouvements. je m’ennuyais dans la trajectoire droite et univoque de ma journée lorsque cette phrase a surgi d’un vieux texte poussiéreux:

“D’où vient donc ce changement que je remarque en moi? J’ai beau y chercher une cause extérieure, je n’y en trouve point: il faut donc que la cause de ce changement soit en moi-même; mais d’où vient-elle?”

c’est le jeune Robert Challe, alors écrivain du roi sur un bateau en route pour les Indes, qui regarde plus loin que le bord plat de l’horizon.


Robert Challe: Journal d’un voyage fait aux Indes Orientales, par une escadre de six vaisseaux commandez par M. du Quesne, depuis le 24 février 1690 jusqu’au 20 août 1691, par ordre de la Compagnie des Indes Orientales.

 

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