je reviens vers ce journal parce que j’ai peur de perdre des morceaux de moi-même. non pas des souvenirs (ceux-là me reviennent sans être invités, par brusque surgissements, aux moments les plus inopportuns), mais des sensations, des écarts, des images fébriles, furtives, et qui à un moment donné font sens.
il y a quelques mois, dans mon exil de froid américain, j’avais décidé de me désillusionner. je voyais cela comme sortir d’une longue maladie. l’écriture de soi avait été ma maladie. une forme de bovarysme moderne, une facilité à suivre les injonctions romantiques, faire de sa vie un roman, se construire dans des mots choisis, etc… je trouvais tout cela brusquement dégueulasse. et ça l’était, sans doute, lorsque l’écriture intérieure dissimulait par omission, lorsqu’elle faisait de moi sa seule héroïne.
alors oui, c’était parfois pompeux, abscons, aveugle – mais ça n’était pas artificiel. c’était une quête de sens. tout ce journal est une quête de sens, avec ses erreurs, ses errements, ses silences, ses moments de répit. je ne peux pas abandonner cela même qui m’a construite, même si cela m’a construite de travers, car cela est en moi, bat en moi, ce journal n’a jamais eu de cesse d’être moi.