mon imaginaire parisien me parle sans cesse de l’Amérique du Sud: Cortazar, Pizarnik, Baron Supervielle, tous les exilés de la guerre sale mais plus avant encore les avants-gardes qui rêvaient aux côtés de Desnos, de Breton, dans des rues mouillées de pluie… j’ai fait le saut vers l’Argentine depuis le Chili, les livres de mes parents, Neruda mais aussi les pamphlets du MIR, le choc de 73, la beauté tragique des déserts. ce n’est jamais l’imagerie rurale, le côté gaucho libre sur son cheval qui m’a attirée: c’est la descente aux enfers politiques d’un morceau du monde, une formidable perception de l’humain, de l’espoir et de la nostalgie. je lisais hier ce récit un peu brinquebalant mais très tendre, l’un des premiers de Roberto Bolaño, qui s’appelle Monsieur Pain, je riais de cette omniprésence fantômatique des Sud-Américains à Paris, celle que Bolaño trace avec malice, celle que j’aime et que je connais, celle qui a modelé mon propre goût de la ville par leurs yeux. je repensais aussi à ce poème de Ráúl González Tuñón qui me bouleverse depuis longtemps et qui s’appelle La cerveza del pescador Schiltigheim, splendide dessin d’un Paris de discussions infinies dans des cafés noyés de fumée – discussions des exilés, des ouvriers, en amitié tranquille autour d’un verre et d’un morceau de viande.