(Berlin) le jour le plus tendre

la tranquillité de tous et qui rend la mienne possible. depuis Herzbergstr. j’ai rejoint le canal, tout était si calme dans la froidure de l’air, je m’imaginais revenir me promener là, un jour, au printemps, avec un chien, je n’ai pas vu que j’approchais des restes du Mur, il y avait un chemin assigné, le Mauerweg, et de partout surgissait la musique, les cris des enfants et encore la musique, basses et batteries, pulsations d’un concert dans un parc ou le squelette d’une usine. à Schlesiches Tor j’ai repris l’artère de la ville : c’était la réapparition des cafés, des boutiques, et bientôt le U-Bahn aérien qui descend jaune et qui pousse la lumière avec lui…

je voulais continuer tout droit mais j’ai été happée par Oranienstr : le flux, l’agitation, la foule jeune, un peu sale, cosmopolite, merveilleuse, qui mange des baklavas en terrasse dans le froid crépitant. plus loin : Görlitzer Bahnhof, Skalitzer, Kottbusser Tor et la lente descente vers Schönleinstr., j’étais perdue, la fine angoisse d’être perdue mais l’angoisse sans socle, sans prise, qui s’émiette alors que j’avance sans but dans la ville inconnue. Hermann Platz, les fast-foods turcs, les terrasses minuscules, et s’ouvre Hasenheide en grande avenue insensible. après la vieille église pointue de Südstern, à gauche, les cimetières s’étendaient à l’infini dans le dernier soleil et je restais longtemps, fascinée, dans la beauté des petits arrosoirs de plastique rangés sagement sur le muret. Berlin : le calme ou peut être, pas tant que le calme, l’absence d’hystérie.

je me suis promenée le long de Bergmannstr. comme dans le jour le plus tendre : un thé enfin, seule, pour réchauffer ses mains et prendre quelques notes, le pouls de la ville. Katja a téléphoné : elle m’attendait dans Mitte. je suis descendue dans le métro sans portes ni tourniquets, les filles étaient très belles, blondes, en bottes, nonchalantes, et puis au Gorki Park Café, soufflant sur l’écume d’un citron chaud : Katja, la plus belle et fascinante de toutes.

oui, c’était le jour puis la nuit la plus tendre. nous avons dîné de petits zakouskis, de blinis et de vodka, nous avons marché dans Mitte, nous parlions de l’amour, du Brésil, de l’errance et de Sophie Podolski, car Katja, magicienne ou suivant les fils électriques de la poésie la plus secrète, avait avec elle les copies du Pays où tout est permis que j’avais cherché en vain à Bruxelles. tout était doux léger et clairement, à ce moment-là de ma joie, plus rien ne pouvait m’étonner – plus rien ou peut être cette porte encore ouverte sur un squat d’artistes, montant des étages dans des foules bigarrées, vers la cuisine qui est Shanghaï, le salon une sorte de club où brûlent des candélabres, soudain une yourte dans l’autre pièce et une balancelle dans la chambre parsemée de fleurs en papier… en se balançant au plus haut on voyait, par la fenêtre, les toits de Berlin et les toits de Berlin encore à perte de vue. j’étais pleine de nuit et de surprise, je me laissais glisser dans la foule amassée pour danser, et toujours Katja souriait, splendide avec ses cheveux courts, à la Jean Seberg, l’oeil plus vif encore, gris et bleu, qui tient le monde serré. un trou avait été ouvert sur les combles, nous sommes montées dans un enchevêtrement de câbles et de musiques, et puis, assises sur des petits bancs de bois, sous des lampions de fête foraine, nous avons parlé longtemps de la difficulté de vivre, de la beauté aussi et des amours lumineuses qui nous traversent, parfois, pour un livre, un corps, une nuit comme celle-ci qui n’en finira jamais de faire sens.

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