fin/début

il y a quelques temps déjà que je n’écris plus dans ce journal que par surgissements brefs, irréguliers, forcés parfois par les fantômes de l’habitude ou la folle beauté d’un visage – je n’ai plus ce goût de la page quotidienne où se reformuler, je ne veux plus me reformuler, j’ai trop posé la question du « qui suis-je? » et plus souvent encore oublié combien ce journal me renvoie d’abord à ma perturbante pluralité…

je ne crois pas que j’arrêterai jamais d’écrire mon journal; je tiens trop à ce présent déjà souvenir, mais ni présent ni passé ne doivent plus me retenir. l’écriture sanctifie, l’écriture pose son vernis, sur la réalité parfois aussi elle ravage la couleur. ces douze dernières années ne tiennent pas dans les milliers de pages données au net ou en pâture. de la façon la plus simple, je n’ai jamais oublié que ces pages étaient lues; être sujet et objet tout à la fois ça tire sérieusement dans la poitrine, et mon entourage connaît trop l’existence de ce journal aujourd’hui pour que je puisse continuer à l’écrire avec la liberté d’autrefois.

indiciblement, je suis devenue un fantôme à moi-même: une vie écrite de dates floues, de lieux indistincts et d’amis qui ne répondent plus qu’à des majuscules. quelque chose s’est dilué.

plus que tout peut être, le journal mange toutes mes forces d’écriture. c’est-à-dire que ce journal qui m’a donné la confiance d’écrire a dans le même mouvement condamné aux marges tout ce qu’il n’est pas. je rêve des filles descendant dans des plaines brûlées de soleil, je connais leurs visages du fond de mon désir de les faire vivre, mais jamais elles ne sortent de cette gangue poisseuse du journal où je me regarde trop réfléchir pour les laisser s’écrire.

à dix-huit ou vingt ans j’écrivais dans l’espoir fou de me connaître.

à trente je crois que j’abandonne toute idée saugrenue de me contenir dans des mots. il est grand temps d’entrer dans le monde.

(on voit qu’il me faudra plus de temps encore pour me défaire de mon goût des grandes déclarations grandioses)

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