autour de l’hystérature

je lis Jane Eyre, que Laura a glissé dans mon sac pendant la dernière conférence d’Hélène Cixous, en chuchotant : « pour tes femmes folles et ton goût du fantôme« . je suis frappée à la vérité d’une certaine rhétorique du « fit« , de la crise hystérique, et qui n’est pas sans rappeler l’hystérature dont parlait justement et avec justesse Cixous, dans un amphithéâtre grouillant de lacaniens dont les visages se tordaient en grimaces au moindre mot, au moindre morceau de rire. 

pourquoi n’ai-je jamais lu Jane Eyre avant ? cet hiver, un peu monomaniaque et obstinée, j’écumais les récits de femmes folles/enfermées : The Yellow Wallpaper de Charlotte Perkins Gilman, l’indéboulonnable Mad Woman in the Attic de Sandra Gilbert et Susan Gubar, et j’avais retrouvé dans le Wild Sargasso Sea de Jean Rhys le personnage troublant d’une certaine Mrs Rochester, que son mari s’entête à appeler Bertha. très simplement : une petite soeur créole de Jane Eyre dans la moiteur de la Jamaïque ondulente et vicieuse. 

aujourd’hui je reprends : Cixous, Lacan, Jane Eyre, l’hystérie.

la première crise de Jane Eyre a lieu dans une chambre rouge où on l’a enfermée, sous l’autorité du fantôme du père : « I suppose I had a species of fit ; unconsciousness closed the scene ».

Jane sait que sa pseudo-bienfaitrice Mrs Reed pense qu’elle joue un rôle : « I was a precocious actress in her eyes ». la scène de la crise est suivie des symptômes les plus classiques (« inexpressible sadness » ; « unuterrable wretchedness of mind » ; « silent tears ») dont on retiendra avant tout la main-mise du silence : c’est l’aphasie.

sa parole dès lors ne lui appartient plus : « Mrs Reed dared me in an emphatic voice to rise from that place (the crib), or utter one syllable during the remainder of the day ». significativement, le petit garçon de Mrs Reed sans cesse lui tire la langue : ce qu’il a lui, ce qui lui manque à elle ? en un chapitre c’est l’aliénation la plus totale : « What would uncle Reed say to you, if he were alive ?  was my scarcely voluntary demand, I say scarcely voluntary, for it seemed as if my tongue pronounced words without my will consenting to their utterance : something spoke out of me over which I had no control ».

le « sinthome » dans toute sa splendeur, dirait Lacan.

cette histoire de saint-homme/symptôme apparaît, incidemment, dans les écrits de Lacan sur Joyce. Lacan qui ne connaissait pas une cacahouète à Joyce et qui avait demandé qu’on lui recommande le nom d’un spécialiste : ce fut une jeune Cixous, alors prof d’anglais et auteur d’une thèse sur « l’exil de Joyce ou l’art du remplacement ».

invitée au colloque des « Quatre discours de Lacan » il y a quelques jours, Cixous a fait son hommage au maître : « il m’appelait son chou, d’autres leur lapin, leur cocotte ou leur douceur » – autant de métaphores culinaires comme savent faire les hommes qui ont faim. elle a parlé de Phèdre, de Proust, de la chasse au Snark de Lewis Carroll et, par opposition, d’une littérature contemporaine française inquiète de son seul petit plaisir : elle a parlé – ce qui au demeurant constituait un événement en soi, puisque depuis plusieurs semaines, tous séminaires interrompus, elle était tombée dans une affliction de la voix qui s’appelle aussi – en geste vers les chères hystériques – l’aphasie.

c’est toujours l’histoire de celles qui sont sur le bord. 

Jane Eyre encore : « Speak I must : I had been trodden on severely, and must turn : but how ? »

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