Barack Obama, Buffy la tueuse de vampires et la théorie queer

je lis dans le New York Times que le Président Obama a rejoué la scène du serment, en privé, le lendemain du jour officiel de son inauguration. le monde entier l’a vu s’arrêter, un instant désarçonné, et répéter les voeux erronés par le Chief Justice. mardi soir, devant ma télé, j’étais frappée de cette délicatesse – signifier l’erreur par un temps d’arrêt, puis suivre le Chief Justice dans le voeu altéré plutôt que le reprendre. mercredi, en lisant les journaux, je m’interrogeais sur l’importance de cet acte de langage : la scène rejouée en tout petit comité, le respect de chaque mot de la Constitution, et la main en l’air dans le vide, sans la bible.

il y a de la magie dans les actes de langage.

je pensais à cet épisode de Buffy The Vampire Slayer dans lequel le quelque peu bêta Xander prononce une incantation en latin au dessus d’un livre… qui prend feu. les exemples du père des « speech-acts » (ou « actes de langage »), J.L. Austin, sont plus classiques : « je vous déclare mariés » crée le mariage, « je te baptise Untel » crée l’attribution, et la reconnaissance.

tout est dans le titre de son ouvrage : « How to do things with words », traduit en français par « Quand dire, c’est faire. »

Eve Kosofsky Sedgwick a étendu la théorie de Austin à toute forme de déclaration : toute phrase aurait un caractère performatif et transformatif, qui agit sur soi et l’autre.

le serment écorché par Obama et le Chief Justice ne constituait pas tant une faute de protocole ou une fêlure symbolique que ceci : s’il n’est pas juste, il ne constitue pas un énoncé performatif – s’il n’est pas performatif, l’investiture d’Obama n’est pas complète, voire pas légitime.

« Only hours after aides told reporters there was no reason to administer the oath again, they concluded it was easier to do it on the first day, rather than have someone challenge the legitimacy of his presidency. »

j’aime que la reine du performatif, dans Buffy, soit la petite Willow : par l’incantation magique, l’acte de langage se fait appel, construction, réalisation, il donne choix et corps, il fait trembler les conventions. l’incantation magique crée du possible et du jeu. Judith Butler ne parle pas autrement de la performativité du genre :  « As performance which is performative, gender is an ‘act,’ broadly construed, which constructs the social fiction of its own psychological interiority ».

les discours d’Obama m’ont toujours quelque peu effrayée dans leur grandeur : le bon vieux ressort de l’émotionnel, celui qui marche à tous les coups, et sans doute plus encore dans une culture hollywood où les gentils ne manquent pas d’arracher une larme aux spectateurs avant de faire face à leur destin (je sais de quoi je parle, je pleure devant n’importe quel Blockbuster). ce discours d’inauguration pourtant ne tirait pas sur les ficelles rhétoriques du coeur : il était un speech-act en lui-même, une construction de l’intersubjectivité de groupes qui se constituent en nation dans le moment-clé du serment.

je reviens à Willow : magicienne et lesbienne. le « L word » n’est pas prononcé : images de transe, de lévitation, une rose lentement déflorée. l’un s’affirme plus facilement que l’autre : « Honey I am the magicks » vs « I think I’m kinda gay ». il y a du stéréotype wiccan dans la corrélation magie/saphisme : l’ombre de la sorcière qui transgressait l’ordre et la sexualité, le côté « sisterhood » qu’on retrouve dans les sororities d’université et les clubs Wicca. l’image de Willow et Tara s’embrassant et embrassant la magie s’arrête à l’image poétique : Willow et Tara sont celles qui maîtrisent les actes de langage – par l’énonciation on construit, on invente, on module et choisit son identité de genre.

« Within speech act theory, a performative is that discursive practice that enacts or produces that which it names »…

de toutes les études universitaires publiées sur le Buffyverse, je m’étonne que si peu se préoccupent de la speech act theory, et qu’aucune à ma connaissance, pas même et c’est un comble l’article « From Butler to Buffy« , n’ait posé jusqu’alors l’équation genre/magie/performativité.

il y a encore beaucoup à creuser… ce qui me rappelle qu’il faut absolument que je tartine quelque chose sur le souterrain dans Buffy : « Caves, graves, sewers and high-school basements : l’antre-deux façon Derrida »…

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pour une lecture extensive des enjeux du performatif, voir Austin, Searle, la bagarre entre Derrida et Searle, Judith Butler, Eve Sedgwick Kosofky, et l’article de Jonathan Culler : « Philosophy and Literature : The fortunes of the performative » (in Poetics Today, automne 2000)

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