je ne suis pas allée à l’enterrement. j’ai lu Ornières : dix fois, cent fois, j’ai épuisé ce que je pouvais de ma tristesse et puis quand je suis sortie dans la rue le type du train était là, c’est à dire que quelqu’un a crié mon prénom, rue de Chabrol, à 15 heures – une heure un lieu où je ne suis jamais, où je ne devais pas être ce jour-là de tous les jours possibles – et j’ai marché vers lui comme dans le plus grand des repos.
À droite l’aube d’été éveille les feuilles et les vapeurs et les bruits de ce coin du parc, et les talus de gauche tiennent dans leur ombre violette les mille rapides ornières de la route humide. Défilé de féeries. En effet : des chars chargés d’animaux de bois doré, de mâts et de toiles bariolées, au grand galop de vingt chevaux de cirque tachetés, et les enfants, et les hommes, sur leurs bêtes les plus étonnantes ; – vingt véhicules, bossés, pavoisés et fleuris comme des carrosses anciens ou de contes, pleins d’enfants attifés pour une pastorale suburbaine. – Même des cercueils sous leur dais de nuit dressant les panaches d’ébène, filant au trot des grandes juments bleues et noires.
Rimbaud, « Ornières », Illuminations, 1873.