décor : la petite gare de province, le train qui s’en va lentement dans l’obscurité des forêts, douceur et fatigue des voyages, le bruit du papier d’aluminium que l’on froisse, sandwiches un peu durs sous la dent, un café sans couleur, l’éternel roulement de la nuit, et puis en face de moi le type aux yeux très brillants me pose cinq questions – cinq questions auxquelles je fais silence et dont il écrit les réponses, avec beaucoup d’application, sur cinq morceaux de papier qu’il me tend nonchalamment : il n’y a pas une seule erreur. sans doute pourrait-il connaître ma date de naissance mais le nom de ma soeur, celui de la tendre Eriu, ou savoir que je suis en train de relire On the road de Kerouac ? est-ce qu’il lit ce journal ?? (que je n’ai pas mis à jour depuis plus de six mois, restons calmes) – légères crises de paranoïa – mais aussi, ces magies-là m’arrivent tout le temps. il dit ça n’est rien, nous nous quittons tranquillement sur le quai de la gare de Lyon et non ça n’est rien – c’est le basculement du monde à peine.
j’appelle L, H, je réunis le comité d’urgence, E tente en vain de me convaincre qu’il s’agit d’un tour de passe-passe mais il ne peut pas pour autant l’expliquer, S me rappelle au matin avec une idée mais rien ne marche, je téléphone à M à Berlin qui rit à gorge déployée : Nadja is back…
je sais, je flotte dans ces eaux-là, je suis celle des rencontres souterraines et des révélations, il y a des figures dans mes trajets, le fantôme de Stalingrad le circassien du Paris-Montréal et Betty ma Betty qui lisait dans ma main l’appel de l’hémisphère et de la grande barrière de corail… c’est un mentaliste me dit G : ou bien alors, c’est un dragueur professionnel !
quelle importance après tout : pour la première fois dans une éternité j’ai dormi calme et sereine. quelle importance qu’il sache ou non, qu’il joue, qu’il feigne, quelle importance autre que celle-ci : un moment si désiré j’ai pensé être reconnue.