les fantômes du passé

avec les filles pour fêter quelques bonnes nouvelles, lampées de vin blanc, bouchées d’huîtres dont les noms seuls sont une invitation au voyage: Canoe Lagoon d’Alaska, Raspberry Point de l’île du Prince Edward. on attend pour ce soir une tempête de neige, j’attends dans une fébrilité infinie que celui que j’aime sorte de son rêve et vienne me retrouver. au moment où j’écris ces lignes, je suis prise d’une terreur que rien n’apaise: est-ce que les gens sortent jamais de la gangue de leurs rêves? est-ce qu’ils savent quand il est temps d’embrasser le réel, quand il faut se jeter yeux clos à la confiance de l’autre? est-ce qu’ils choisissent vraiment toute la joie à venir sur la marque du passé?

les fantômes du passé, aussi terribles puissent-ils être, auront toujours cet avantage de contenir en eux la sécurité du connu… et la promesse jamais salie du possible.

mais, « nous vivons, dit Eluard, dans l’oubli de nos métamorphoses ».

c’est un cheminement difficile et pourtant impalpable. nous avançons vers d’autres corps, d’autres caresses, parce que le temps précédent s’est arrêté. il y a une raison à ces interruptions du coeur – une raison plus ou moins avouable, plus ou moins acceptable, et plus souvent moins que plus. parfois, pris de terreur (comme moi ce soir qui cherche vainement à articuler et comprendre), nous pensons que ce temps passé est perdu – ce temps que sans cesse en vérité nous maintenons en nous. parfois encore nous nous pensons pour toujours attachés à ce qui aurait pu, aurait du être plus beau, plus long, plus vrai. nous avons oublié que le changement n’est pas un effacement. nous avons oublié que tout ce temps passé dans la compagnie des fantômes ne nous en a pas moins empêché d’avancer, à l’intérieur, à pas secrets. rien de notre perception ne semble signaler que nous avons changé. tout pourtant nous le murmure.

la langue du fantôme est une langue que nous ne parlons plus, mais nous seuls ne nous en sommes pas encore aperçus.

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