homecoming queens

beauté de K – aimantées l’une à l’autre, de nous croiser et recroiser, hasards brillants qui n’en sont pas et nous ne le savons que trop bien, nous décidons d’aller déjeuner ensemble, comme de rien : oh la limpidité, la douceur, comme tout est simple pour parler avec elle, complicité tranquille dans le restaurant qui s’emplit et se vide en vagues et nous continuons naturellement sur le trottoir, long fil qui se déroule et nous resserre et nous retient l’une à l’autre dans l’évidence qui nous rassemble, bientôt nous marchons sans but aucun dans le soleil liquide : errances, amours, secrets déployés en fous rires, elle a mon âge et tant de vies, quand je lui demande avec enthousiasme dans quel genre de trip à la Kerouac elle était pour prendre la route seule tant d’années elle s’arrête et elle me demande : do you know what Homecoming weekend is?

je me souviens de la soirée de Homecoming au lycée : fleurs vives, paillettes, robes de satin pâle dans l’effervescence de la rentrée des classes, c’est ma chère Rebecca qui avait été élue Homecoming Queen et ça n’était que le début d’une pléthore de « formal dances » plus kitsch les unes que les autres jusqu’à porter Prom en cerise sur le gâteau.

Homecoming était un événement important dans l’université que K fréquentait : une université tout à la fois réputée pour son élitisme, son isolement et l’ampleur des fêtes organisées par ses nombreuses fraternités et sororités. ce soir de Homecoming - elle avait vingt ans – elle est descendue dans la foule heureuse, elle a dansé dans les sous-sols et la nuit chaude, elle a ri, comme les autres, de la chance d’être là et de se retrouver, d’être si jeunes et déjà engagés dans l’avenir certain que promettent les grandes institutions privées de la côte Est, elle a dansé encore, légère, très belle aux boucles blondes, et puis elle est est rentrée chez elle dans la nuit noire et trois hommes l’ont suivie et trois hommes l’ont violée.

nous sommes dans le soleil liquide et je prends son bras, son épaule, je la serre contre moi qu’est-ce que je peux faire d’autre ?

elle rit, elle dit : après cela je suis partie sur les routes, j’ai conduit des camions, j’ai travaillé dans des motels, dans des restaurants et chez un taxidermiste, j’avais besoin de connaître ma force, quand j’ai repris mes études plusieurs années après la police avait encore l’ADN des trois hommes mais ils n’avaient pas été retrouvés.

je la regarde dans le soleil terrible, elle est douce et tranquille et abîmée à l’os, je la tiens serrée si fort contre moi je ne peux rien faire d’autre.

Cette entrée a été publiée dans journal, avec comme mot(s)-clef(s) , , . Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Les commentaires sont fermés.