Californication

la journée dans la chaleur, le décor Disneyland du campus rose et beige à paillettes, lunch break sur la terrasse, les conversations qui roulent comme de grandes vagues – wine-tasting in Napa Valley ? contemporary art in Paris ? - et je peux faire semblant, sans doute, je peux appliquer à la vie ce que Coleridge propose pour la littérature : un « suspension of disbelief » pour feindre de croire aux sourires, visages impassibles sous les perles ou la réputation, moi même je suis un leurre, exotique Ivy League parisienne qui a des avis tranchés sur tout pour dissimuler qu’elle ne sait rien, et deux traits d’eye-liner contre la peur.

comme tout est facile sous le soleil californien ! je parle de la France comme si j’en savais quelque chose, deux beaux animaux aux yeux bleus me cataloguent du compliment à ne plus savoir qu’en faire, on conduit dans Santa Monica jusqu’à la résidence d’Alain Mabanckou qui m’emmène par la main dans sa chambre pour me dire : « c’est ici que j’ai écrit mon dernier roman », il m’offre des cigarettes et du rhum, les autres font mine de ne rien voir, et moi non plus. la nuit continue dans une boîte à la mode, corps rompus au désir d’être désiré, tous jouent si bien le jeu, les filles aux yeux mi-clos, les types enfin autorisés à pétrir, à goûter, dans le cadre du bar et de l’alcool s’étend la fin de la prohibition ordinaire du grand jour puritain. c’est une scène américaine classique : le retour du refoulé…

j’admirais le spectacle quand un autre prof a glissé sa main le plus naturellement du monde dans ma robe en murmurant : « ce soir on rentre ensemble n’est-ce pas ? »

cette fois j’étais médusée – totalement médusée – surprise, saisie d’une colère terrible contre moi-même, contre ces types qui viennent et s’imaginent se servir à loisir, colère épouvantable à l’égard de cet abus de pouvoir, du plus vieux plus reconnu plus respectable plus publié ou que sais-je qui de sa position d’autorité vient plonger sa main dans le dos d’une femme comme on flatterait une pouliche, parce qu’il est tard et qu’il ne souhaite pas rentrer seul. on s’imagine être forte, on se dit ce n’est rien, « j’ai l’habitude » la plus affreuse des assertions au final, on pense pouvoir rire de tout et voilà l’effondrement pour un « n’est-ce pas » qui laisse entendre que j’ai bien ma responsabilité dans cette affaire, et dans la rue qui descendait à la mer je ne pensais qu’à ça : qu’est-ce que j’ai fait ? qu’est-ce que j’ai dit ? qu’est-ce que mon corps signale sans cesse à mon insu ?

la plage de Santa Monica était déserte. je me suis assise pour regarder le phare. aussi longtemps que cette lumière tournera je serai en colère.

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