l’aéroport minuscule porte le nom du Pape. j’aide la jeune femme avec son bébé très blond et rieur – je pense à l’enfant à venir de Nicolas et Jirina ; il y a quelques jours, N m’a donné beaucoup de courage à parler de tout, de rien et surtout du hasard qui existe ou pas, les choses qui adviennent, se mettent en place, et nous portent avec elles. à l’aéroport je prends un taxi : nous roulons dans la campagne verte, de temps en temps le conducteur montre du doigt un monastère, une église, il m’explique dans un anglais rudimentaire et heureux la taille de la place centrale ou la beauté des arbres qui ont remplacé les fortifications de la ville, il est fatigué, bienveillant, attentif, il m’apprend quelques mots qu’il me fait répéter, patiemment. dans la rue Krowoderska la chambre donne sur un petit jardin brillant de pluie ; il y a une bouilloire et du thé à l’hibiscus sur l’étagère, le même que celui que je buvais chez L, au lycée.
je trouvais chez L cet air qui n’existait pas chez moi : le bortsch rouge très chaud, la farine flottante des pierogi, la télé allumée pour les infos du soir. L m’apprenait les mots polonais qu’elle tenait de sa mère : j’ai tout oublié, à l’exception du mot écureuil. à l’époque nous voulions l’une et l’autre toujours vivre notre vie en « écusettes de noireuil« .
j’aurais voulu connaître la Pologne avec L, je l’ai connue par avance et m’en allant dans les rues de la ville inconnue je ne marche jamais seule. le centre-ville est là comme posé dans une ville à laquelle il n’appartient pas. je glisse dans les grandes places vides où s’oublient les statues, les ruelles, les porches, les cafés ouverts, rideaux flottants, au son d’une radio, aux étages. de temps en temps une fille touche ses cheveux devant une église. la pluie menace et se retient sur la cime des plantées. les toits vert-de-gris ont cet éclat étrange qui annoncent les heures rares. je bois un thé à la framboise avec Alicja derrière une fenêtre ancienne : nous parlons de Kieslowski et de Stasiuk que j’aime à la folie, du tertre sous lequel est enterré un roi qui n’a peut être jamais existé, de Copernic et du ghetto de Varsovie. dans la rue les bonnes soeurs marchent par paires solitaires. Alicja m’emmène au Collegium Maius : cour carrée de briques rouges, avec ses escaliers de fer forgé et son puits profond. c’est l’heure du crépuscule. je me penche sur le puits et lui donne mon reflet.