pluie de mai

j’aime cette pluie de mai qui me caresse les paumes par caprices répétés — la vie soudain aventureuse de devoir se jeter à l’improviste sous la ramure des arbres, le refuge des auvents, courant devant l’orage dans l’odeur des pelouses et des limons mêlés.

je lis les formes courtes de Kawabata, ces « histoires que l’on tient au creux de la main » (掌の小説), où se déploie en grand le visage très blanc des femmes et des cadavres, dans une lenteur fulgurante.

tu as l’air épuisée me dit C et c’est un fait, je me débats dans des sommeils sans âme, des nuits sans passion, la pluie fine seule me touche et m’accompagne.


Kiyoshi Nakajima – Pluie Fine – 糸雨 (1982)
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rue Oberkampf

rue Oberkampf — les types en brassards jaunes, ceux qui chantent, d’autres qui se penchent sur la nuit pour vomir, les fourgonnettes qui passent, une, deux, trois, quatre, cinq de suite tirant des voitures assombries, une fille aux lèvres très rouges les bras levés pour danser, un type qui passe et tout le monde murmure, des éclats de rire pour des morceaux de conversation sans beauté — suis-je la seule qui sait, la seule qui sent, que tout cela n’a aucun sens? je ne peux pas être la seule, pourtant, la seule qui souffre du dedans, qui s’épuise très vite à ses propres essais, tout sourire mais rien ne se passe, rien ne s’enflamme, rien ne s’apaise, je ne sais plus jouer les jeux de surface.

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seule

C si belle, brune et rieuse – la seule parmi mes plus anciennes amies qui n’a en rien changé sa façon d’être avec moi, et pourtant nous nous levons de table pour aller chercher sa fille à la crèche, la petite a les yeux très bleus de son père, tous trois vivent dans un grand appartement parisien, une vie que je ne connais que de surface, que je n’envie pas, mais que j’ai frôlé de si près, qu’un temps peut être j’ai désirée avec toi. C ne dit jamais de mal de L – elle sait les blessures, mais aussi l’amour fou. elle demande: comment vas-tu? je réponds: je vais retourner vivre aux Etats-Unis.

je rentre seule dans la foule agitée. il n’y a pas d’enfant à porter jusqu’au lit, pas d’amour qui attend avec les yeux heureux. je traverse les gestes du quotidien en silence. il n’y a personne à qui parler.

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soleil liquide

cette vie de soleil liquide sous la peau: je monte à l’arrière de la 4L avec le border collie et les brassées de lilas, attention aux hameçons! dit-il en claquant la portière, la radio braille un air surf rock et l’on se croirait en route pour la mer -

en fait de mer, un morceau de colline dressé entre volcans et nuages, coiffé des ruines d’un château médiéval. on monte dans les taillis, les rivières de cailloux, de temps en temps il s’arrête pour me tendre la main au dessus d’une descente à pic ou pour cueillir, heureux, un brin d’ail des ours, il est chez lui, fier du pays où il a grandi, des histoires que l’on se racontait, gamins, dans des tentes déchirées par les ronces, et qui se perpétuent par l’évidence d’être ensemble

debout sur les fenêtres de pierre il me parle de partir faire le tour du monde, d’être heureux, d’avoir des enfants

dans les champs de luzerne nous dégringolons et je ris aux éclats – dans les champs de luzerne la masse vivante du vent dans les jambes – pourvu que cette course folle ne s’arrête pas

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merveilleux refuges

thé earl grey chez E, dans son appartement-village de la Butte aux Cailles. je saisis et suis saisie encore une fois de ma facilité à nouer des amitiés très vives, de façon évidente, avec des femmes qui me ressemblent, des femmes qui lisent et qui voyagent et qui ne se satisferont jamais d’une joie de surface, d’horaires fixes, d’assurances familiales. nous parlons de l’Ecosse qu’elle connait bien et de l’île de Skye que j’aime d’amour, je lui raconte les longues heures pour traverser les landes du Connemara, l’an dernier, dans la pluie fine et la splendeur, toujours je pense à ces pays austères comme à de merveilleux refuges, très jeune glissée dans l’anfractuosité des livres des soeurs Brontë, amoureuse de Coleridge dans sa cabane de rêves, le vent dans les cheveux, les mains trempées d’embruns, la connaissance physique et immédiate de ces terres tourmentées et somptueuses, outre-Manche j’ai mesuré l’étendue de ma joie comme jamais.

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Toraya

journée de petites nostalgies, joies fugaces, morceaux qui filent entre les doigts. devant l’Opéra je m’imagine toujours me rendre à un rendez-vous inconnu, je pourrais sans vergogne me présenter à ces hommes qui attendent, leur donner l’embarras du choix, l’instant de flottement du désir – je traverse la place Vendôme dans la lumière liquide – je ris de cette ville si rigide et si sage – rue Saint Honoré les filles qui tiennent leur sac griffé à la saignée du coude, au bout de la rue Duphot la masse vert de gris de la Madeleine, dans la lumière, qui s’estompe et disparait alors que l’on s’approche – qu’importe, je vais chez Toraya boire un bol de thé matcha et déguster un sakura mochi, je cherche le point du souvenir, une rue à Kyoto, la nuit, la main tendue d’une vendeuse très âgée, mon dégoût facile de cette ville de cordeau chinois où pourtant j’ai erré, longtemps, dans les rubans des temples, en laissant fondre sous ma langue une feuille de cerisier acidulée.

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lectures

Hors de moi, le petit livre de Claire Marin sur l’expérience de la maladie, se révèle descriptif, tâtonnant, affreusement normalien.

Siri Hustvedt sait dérouler les fils à la perfection, The Shaking Woman or a History of my Nerves est un exercice impeccable, scolaire mais fluide, nouant psychanalyse, neurologie et récit personnel dans ce style qui est le sien, à la fois très lisible et quelconque – à défaut d’apprécier l’écriture, j’en admire au moins le craftsmanship.

je lis le début d’Anil’s Ghost de Michael Ondaatje et c’est là que se creuse l’écart – tout de suite l’élan, l’entrée dans l’irrévocable, l’odeur de la pluie et des charniers au Sri Lanka.

mais ce que je préfère, bien sûr, c’est La Mort en Perse d’Annemarie Schwarzenbach: « ce livre donnera peu de joie à ses lecteurs », annonce-t-elle, « il ne leur apportera même pas la consolation et le réconfort que prodiguent très souvent les livres tristes. » touchant avertissement, qui ne réduit en rien le souffle du voyage et l’angoisse des obstacles. on ne peut qu’aimer d’amour Annemarie Schwarzenbach – sa lucidité, sa puissance, ses effondrements, ses appels dans l’immense plaine persane qu’engouffrent les montagnes.

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