l’explosion

la scène du brouillard de Identificazione di una donna qui m’avait serré la poitrine d’angoisse il y a quelques années ne me fait plus peur, je peux même dire qu’à revoir le film ce soir, malgré le désir aiguisé après des années sans le retrouver, je suis complètement passée à côté de la scène. était-ce parce que je l’attendais, tout à la fois préparée et démunie d’avance, ou bien parce qu’un morceau en moi a bougé, imperceptiblement, déplacé peut être par cette scène il y a huit ans, et érodé depuis, transformé de l’intérieur? j’ai tellement ressassé cette scène en moi, à la revoir sans la sentir j’ai eu le sentiment d’avoir perdu un morceau de ma vie.

mais c’est précisément ce qui s’orchestre dans les films d’Antonioni. apparaît subrepticement ce que l’on ne verra plus ensuite, des détails essentiels échappent qui refluent des années plus tard avec la fulgurance du soleil. rien n’en dit plus long sur l’oubli de nos métamorphoses que ce cinéma de places ouvertes et de lumière fragmentée où les femmes disparaissent et reviennent sous des traits différents.

Antonioni plus que tout autre me rappelle combien l’expérience d’un film se trame dans l’expérience du moment. la trame narrative importe peu, elle est trouée, coupée, elle se reconfigure avec la vie.

alors, bouleversée toujours par ce film mais pour des morceaux différents – j’admirais ce que je n’avais pas su voir auparavant, ce qui pourtant est si flagrant, la façon dont Niccolo traduit son rapport aux femmes sous la forme d’une exploration dans l’espace, rêvant d’approcher le soleil dans un aéronef qui résisterait à la chaleur, désir frustré de venir au plus près d’elles, de les connaître sans se trouver calciné.

et tout prend sens: la voix de son neveu au téléphone lui demandant des timbres, voix répétée sur le répondeur, le timbre russe montrant des astronautes, la figure du télescope, l’idée apparemment saugrenue de tout plaquer pour faire un film de science-fiction, autant de détails tissés dans le décor, fortuitement inutiles, et qui ne cessent de trahir le seul désir qui tienne malgré l’appel des femmes, le désir d’écrire et faire des films. ainsi, tout était pourtant déjà là (phrase qui semble résumer ma vie).

ce soleil intouchable c’est pourtant bien encore celui de L’Eclipse – c’est aussi la scène finale de Zabriskie Point, le titre même de Blow Up, c’est l’explosion du sens, dissémination du rêve, et toute la beauté révélée.


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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